Le lundi de la pentecôte 1971, comme j'ai 14 ans, je suis enfin autorisé à sortir tout seul au Gouter Matrimonial.      En début d'après-midi, je rejoins Jean-Claude Eben et nous commençons par aller danser au "Castel", rue de la grande ronce sur un morceau de Led Zeppelin. La chanson terminée, l'on nous met à la porte, et Jean-Claude m’entraîne au tunnel des amoureux "pour faire peur aux filles".                                                                                                                                                                                                                                                                                            Si je me souviens bien, il avait déjà fait ça l'année d'avant, et il s'était bien marré qu'il disait. 
Je ne sais plus comment on était devenus amis Jean-Claude et moi.        On avait fréquenté la même école primaire (école libre Saint Rémy) .            Il était d'un an mon aîné, ce qui fait qu'au début, il faisait partie de ces grands qui n’arrêtais pas de m’embêter, vu que je n'offrais aucune résistance, persuadé que j'étais qu'il fallait tendre l'autre joue à ceux qui vous agresse !                                                                                  Mon mysticisme précoce m'isolait paradoxalement des autres enfants de cette école catholique pour garçons où je ne m'entendait qu'avec les gosses de fermiers, qui  eux aussi aimaient la solitude dans les champs et les bois.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                Qu'il fut un an plus vieux que moi ne veux pas dire que l'on ne se soit pas retrouvés certaines années dans la même classe, puisque celles-ci étaient regroupées par deux années. (1-2, 3-4 , 5-6).
Etant embarqué depuis ma deuxième maternelle, sous la pression de  la maman d'Henry, Esther, dans les institutions calotines, j'ai aussi participé aux activités des louveteaux, puis des scouts et également suivis les cours de catéchismes où la nature de ma foi tourmentée m'éloignaient également  des autres enfants, plus préoccupés de foot que de religion. Jean-Claude faisait partie des "enfants de coeurs" avec Jean-Marie, l'innocent du village. Les récits des nombreuses blagues qu'il se vantait de faire au curé à la messe du dimanche m'ont  dissuadés de le suivre sur cette voie, malgré ses sollicitations répétées.  Je prenais la messe trop au sérieux ...du moins jusqu'au jour de ma confirmation, où la vue du vieil évêque somnolent qui était censé être un saint vivant m'a complètement dégoutté de la religion. Par contre, mon passage aux scouts m'a laissé de très bon souvenirs. 
Mais qu'est-ce que tout cela a à voire avec les Racines du Manoir ? Me direz-vous. J'y viens ! Lentement, mais surement !
Donc, voila que l'on arrive, Jean-Claude et moi, au Tunnel des amoureux. Le Tunnel des amoureux est une espèce de longue et sinueuse tranchée aux parois couvertes de grosses pierres, que les seigneurs du château de la Folie ont fait construire il y a très longtemps pour ne plus voir les ouvriers qui devaient traverser leur propriété pour aller travailler aux carrières de Scoufflény . Une partie est couverte, ce qui fait que l'on s'y déplace dans l'obscurité totale. Le jeux auquel Jean-Claude m'a entraîné consiste à se jucher sur les parois, à la sortie de la partie obscure du tunnel, et à crier le plus fort possible quand il y a des filles qui passent. Après quelques minutes d’embuscade, voila un groupe de jeunes filles qui apparaît dans la lumière ! Et comme prévu, nous nous mettons à hurler. Mais bizarrement, elle ne sont pas du tout effrayées. Au contraire, elles nous invitent tranquillement à descendre de notre perchoir afin de faire plus ample connaissance et à se joindre à elles pour aller boire un verre à "La grange", un dancing du coin où les vieux se rassemblent les weekends pour danser au son d'un immense orgue de barbarie électrique.  C'est assez "folklorique", mais pas encore de notre âge, bien que trop bruyant pour que l'on puisse discuter. Notre verre vidé, nous les raccompagnons dans leur logement collectif, dans une autre grange, celle de la ferme du Château Fort. Nous apprenons là-bas qu'elles sont un peu plus âgées que nous, qu'elles viennent de Bruxelles, qu'elles font partie d'une troupe de guides (C'est comme les scouts, mais pour les filles). Et que les parents de l'une d'entre elles viennent d'être engagés comme domestiques au château fort. Elles sont assez surprises quand elles apprennent notre jeune âge, ce qui fait que les choses ne vont pas plus loin ...ce soir là ! 
Le lendemain, premier juin, je retourne à l'école et la vie continue. Et les vacances scolaires finissent enfin par arriver. 
Cette année là, mon père organise une grosse exposition au Château Fort d'Ecaussinnes, avec les Racines du Manoir (nous y voila !) et 
sous la direction du CENTRE CULTUREL DU HAINAUT ; avec la collaboration MUSÉE DE LA PAROLE, SERVICE CINÉMATOGRAPHIQUE DU MINISTÈRE DE L' EDUCATION NATIONALE;   "Hainaut, terre de surréalisme..."
L'exposition se déroule au premier étage du  3 juillet au 12 septembre 1971 . Il y là sur les murs des photographies de Marcel Lefranq, des dessins d'Armand Simon, des peintures de Remy Vanden Abeel, Henry Lejeune ....et René Magritte. René Magritte dont je dois enfermer les œuvres tous les soirs dans une pièce secrète, car j'ai été engagé pour garder l'exposition. Il n'y a pas énormément de visiteurs, et quand il y en a, je ne sait pas trop quoi leurs raconter. Parfois, mon copain Jacky Legge vient me tenir compagnie (ou me remplacer ?) mais la plupart du temps je suis seul et avoir relu 20 fois les lettres de Magritte à André Blavier qui sont exposées dans une vitrine et médité 30 heures sur chaque peinture, je commence vraiment à m'ennuyer. J'écoute de la musique sur mon vieux magnétophone.(Bach, Narciso Yepes..) Je regarde par la fenêtre ...
Dehors, c'est l'été, et les petits oiseaux chantent au soleil. De la fenêtre de la salle d'exposition, je peux observer au-delà de la coure intérieure du château, le portail d'entrée que franchises parfois de rares visiteurs. Et un beau jour, qui je vois arriver ? Les filles que nous avions rencontrés au Gouter fin mai. J'étais le prince enfermé dans sa tour que de belles chevalières venaient délivrer ! Adieu l'ennui et la morosité ! Après de chaleureuses retrouvailles, elles m'expliquèrent que les parents de l'une d'entre elles avaient été engagés comme domestiques au Château et qu'elles venaient toutes y passer les vacances d'été. Dés lors, l'été devint une aventure fabuleuse pleine de découvertes et d'amusements surréalistes dans les pièces interdites du Manoir Des oubliettes où nous nous sommes effrayés de la découverte d'un os de poulet  aux greniers amplis de coffres mystérieux ...Parfois, nous nous retrouvions dans leur chambre, pour écouter les groupes de l'époque; Jimmy Hendrix, Black Sabath , Deep Purple ....
Les vacances terminées, l'on continua de se voir. De plus en plus souvent, puis de moins en moins. Ainsi va la vie !

 

Frédéric Lejeune       

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